On a mis mes ancêtres dans des chaînes

Le métal rouillé a tranché leur peau.
On les a mis dans des chaînes,
Transportés de plaines en montagnes en vallées,
Marchant à pied sur une terre sombre et brûlante.
Avançant dans une direction dont ils n’avaient pas connaissance,
Perdant à chaque pas l’espoir d’une salvation.

On a mis mes ancêtres dans des chaînes,
Et quand on les as enlevées, ces chaînes,
Elles sont devenues sournoises…
La chaîne était…
Le fouet du maître qui n’est jamais bien loin, prêt à claquer au moindre pas de côté
La corde de la pendaison qui t’attend en te lorgnant – te faisant peur non pas pour toi, mais pour ton mari, tes frères, tes enfants
La gueule du chien qui a soif du sang de tes mollets, s’il te venait à l’idée, ne serait-ce qu’une fois, de t’échapper.

Et puis… elles sont devenues invisibles, ces chaînes.
C’est le regard qu’on te lance dans la rue pour te rappeler que ta place n’est pas ici,
C’est le salaire en moins que tu as sur ta fiche de paye, parce que ta couleur n’est pas celle de la ‘majorité’
C’est la difficulté que tu as, parfois, à émettre un son, ta voix, car ta mère avant toi et sa mère avant elle, et sa mère avant elle ont été oppressées.
C’est la mémoire qu’il y’a dans ton sang, dans tes veines, dans ton ADN… la mémoire de souffrance, la mémoire d’arrachement à la terre, la mémoire de génocide de tes ancêtres.

Je n’oublie pas que je suis noire.
Je n’oublie pas que ma couleur de peau et la frisure de mes cheveux et la peau de mon derrière sont la première chose que l’on voit de moi.
Je n’oublie pas que je suis noire et que j’ai la chance, le privilège, la gratitude, d’avoir accès à un carnet, des stylos, à internet et à des mots.

Je n’oublie pas que je suis noire, et que la lutte est dans mon sang. Que toute la lignée dont je viens à souffert, à un moment, à plusieurs moments, toute leur vie.

Une partie de mes ancêtres a été arrachée de sa terre, jetée dans des bateaux et emmenée de force dans un pays lointain et inconnu oú tout ce qui les attendait était souffrance et torture en continu.

Une autre partie de mes ancêtres a simplement été trucidée – on parle peu d’eux, les natifs américains qui étaient là avant que les fusils débarquent. D’eux, il ne reste quasi rien, à part un peu de sang dans nos veines et nos yeux en amande.

Une autre partie de mes ancêtres était des colons. Des personnes qui ont débarqué un jour, fait des enfants entre eux, puis fait des enfants avec les femmes noires et natives qui étaient présentes. Des personnes que je ne considère pas comme les miens mais qui pourtant m’ont donné leur sang.

C’est comme si le monde m’avait donné ce corps, cette couleur et ces mains pour aller chercher au fond le jus, le feu, la rage et presqu’une prédisposition, un héritage à se battre.

Comment puis-je me taire quand tant de personnes avant moi n’avaient pas de voix.

Peu importe ta couleur quand tu lis ceci :
Mon héritage ne fait pas de moi quelqu’un qui parle à un cercle fermé de personnes.
Mon héritage fait de moi quelqu’un qui peut parler à une grande majorité de personne. Car si je n’ai pas vécu ta souffrance personnellement, une part de mon ADN l’a probablement vécu.

Je la sens dans mon corps. Cette mémoire de violence. Soit je la laisse me plomber. Soit je l’utilise pour la transformer.

Les chaînes – on en a tous. On en a tous encore, même si on ne les voit pas.
Et nous avons le privilège, pour beaucoup, de pouvoir les enlever sans y risquer notre vie, ou celle de nos enfants, ou celles de nos parents.

Quand allons nous arrêter ?
Quand allons nous arrêter de se sentir faibles et impuissants, quand nous avons accès à tant de privilège.
Le premier étant d’ouvrir la bouche et d’ouvrir la voie.

De quel droit nous nous retenons maintenant ?
Il est temps de dire stop à cet asservissement.

Je choisis de briser mes chaînes.
Parce que je peux. Parce que je veux.
Et toi ?
Quand arrêteras-tu de te garder en bas ?

Lyvia.
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Photo : @hisea.yu

vague-tiret

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Je suis Lyvia Cairo

Écrivain, coach en relations et en sexualité, spécialisée en soin des traumas.
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